Après une virée dans le Lubéron, le spectacle fabuleux de ces affleurements rocheux aux couleurs flamboyantes ne pouvait que m’inciter à vous parler de l’ocre, une magnifique matière colorante et un pigment des plus prisés.

Des couleurs issues de la terre

L’ocre est un pigment naturel d’origine minérale, de la famille des « terres », dont les couleurs varient du jaune, aux rouges, aux violets et aux bruns.

Ces pigments sont constitués d’argile (kaolinite), de sable (ou grès) et d’oxyde de fer (goethite pour l’ocre jaune, ou hématite pour l’ocre rouge).

Les oxydes de fer dans la nature peuvent être aussi associés à d’autres minéraux au sein de roches d’origine variées : on peut ainsi rencontrer la calcite, le gypse, l’anhydrite, des feldspaths (appelés orthoclase dans la terre de sienne naturelle d’Italie) et beaucoup d’argiles dont la minéralogie n’est pas précisée, mais toutes ces terres colorées ne sont pas forcément des ocres.
Pour Jean-Marie TRIAT, un des meilleurs critères pour caractériser l’ocre est qu’il colorie les doigts !

Trois phénomènes géologiques parviennent à créer des pigments minéraux qualifiés d’ocre, aux multiples teintes (beige, jaune pâle, jaune vif, jaune d’or, orangé, rouge sang, teinte rouille, violet, brun).

Lors de la formation géologique de gisements métallifères, des magmas venus des profondeurs au travers de grandes cassures atteignent les zones de surface de l’écorce terrestre et entrainent toutes sortes d’éléments chimiques et le pigment ferrugineux est ensuite créé par minéralisation.

Lors d’éruption volcanique les magmas, surtout riches en silice et alumine, contiennent du fer qui colore très fortement les roches en rouge, noir ou violet. Ensuite le fer s’oxyde par vieillissement créant des oxydes ou hydroxydes de fer. Les cristallites, nées de cette évolution, sont des pigments d’ocre où le jaune, le rouge et le violet dominent. (Ile Maurice, Islande, la terre de Pozzuoli près du Vésuve …)

Mais la principale origine des ocres est l’altération des roches par le climat. On trouve des latérites surtout en domaine intertropical (elles recouvrent 33 % des continents !) où Le fer oxydé leur donne leur couleur rouge. C’est bien le cas des ocres du Lubéron !

Colorado provençal, Rustrel

L’histoire géologique des ocres du Lubéron

D’après Jean-Marie Triat, dans la majeure partie de l’ère secondaire la mer recouvre toute la Provence où d’épaisses séries de roches sédimentaires s’accumulent (calcaires, argiles, grès …).Puis à partir de – 50 millions d’années la tectonique des plaques donne naissance au Massif central et au massif des Maures, mettant hors d’eau un vaste territoire recouvert de grès verts. Le climat chaud et humide entraine l’altération des sols sur plus de 40 millions d’années pendant lesquelles se sont formés les sables ocreux du Lubéron !

L’ocre dans l’histoire des peuples

Main négative, grotte Chauvet

La préhistoire

Pratiques cultuelles

Il est très fréquent dès le Paléolithique que les corps des défunts soient recouverts d’ocre rouge, qui aurait été utilisée pour des pratiques cultuelles. Des traces d’ocre rouge ont été retrouvées sur le site de Terra Amata ( – 300 000 ans) près de Nice, Alpes Maritimes.

Art pariétal

Selon Anne Varichon : « La grande histoire de la peinture plonge ses racines dans quelques poignées d’ocre jaune et de charbon de bois. C’est avec ces pigments que fut tracée la première peinture rupestre, il y a plus de 50 000 ans. »

Les recherches de Michel Menu sur les peintures de la grotte Chauvet (-30 000 ans) montrent l‘utilisation de différentes techniques : après que la paroi ait été aplanie et grattée, les pigments d’ocre étaient soit agglomérés en pâte visqueuse et appliqués avec les doigts ou la paume de la main, soit dilués et appliqués avec un tampon en peau ou pulvérisés avec un tube en os avec des motifs de mains en pochoir ! Le contour du dessin était parfois fait au charbon de bois, parfois gravé à l’aide d’un silex.

Bovin, Altamira

Les matériaux utilisés étaient le noir de charbon, le blanc de calcite, l’ocre rouge et l’ocre jaune.

Des sépultures ou des grottes préhistoriques ornées avec des traces d’ocre ont été retrouvées sur tous les continents : Europe, Afrique, Brésil, Amazonie, Australie …

D’autre part, le fait de retrouver des ocres rouges sur des sites où uniquement l’ocre jaune était présente fait penser que l’obtention de l’ocre rouge par calcination de l’ocre jaune était connue dès la préhistoire !

Antiquité

Les textes Egyptiens sont écrits sur papyrus avec une encre noire à base de carbone, et une encre rouge à base d’ocre pour mettre en avant les dates ou les têtes de chapitres (d’où le nom rubrique du latin ruber signifiant rouge)
Dans l’Egypte antique les ocres rouges et jaunes étaient largement utilisées dans les parois des tombes et des monuments, avec une codification symbolique de la couleur : par exemple les corps des hommes étaient à l’ocre rouge, celui des femmes à l’ocre jaune.

Tombeau de Nakht

Les Grecs et les Romains avaient une connaissance avancée des ocres qu’ils utilisaient dans les fresques et peintures murales. Les grands auteurs en ont référencés les différents gisements et leurs nuances de teintes.
Depuis l’époque romaine l’ocre était produite en France dans le Berry près de Bourges (les sites de Bourgogne et du Vaucluse n’ayant été ouverts que bien plus tard)
Les ocres ont également été utilisées par les peintres de l’Inde antique.

Du Moyen Age au 18° siècle

La palette chromatique des fresques des peintures murales dans les églises et l’art médiéval (carolingien, roman et gothique) est composée de pigments naturels où les ocres (jaunes, rouges, brunes) sont à côté du blanc, du noir et plus tard du bleu avec le lapis lazuli.

Jamais les ocres n’ont cessé d’être présentes dans toutes les techniques et les arts picturaux, par contre dès le 18° siècle les oxydes de fer synthétiques vont fortement concurrencer les ocres naturelles.
Les Hollandais faisaient encore un grand commerce de l’ocre encore au 19°, ils achetaient l’ocre jaune en France, la calcinaient et la revendaient fort cher sous le nom de rouge de Prusse.

Et après ? Le Roman de l’ocre du Lubéron

Le début d’une industrie

Si l’utilisation de l’ocre remonte au Paléolithique dans la région d’Apt, c’est en 1785, à Roussillon, que débute son exploitation avec Jean-Etienne Astier, premier fabricant d’ocre et ce n’est qu’en 1848 que l’extraction de l’ocre commence à Gargas, village voisin.

Les premiers producteurs d’ocre opéraient de manière artisanale en utilisant des outils agricoles, de même le transport se faisait de façon très rudimentaire à dos de mulets vers Marseille, pour partir par bateau aux quatre coins du monde.
L’exportation des ocres du Vaucluse était alors largement devancée par celle des ocres de Bourgogne qui bénéficiaient de voies navigables pour l’expédition.

L’apogée

Jusque-là l’ocre était employée pour ses qualités décoratives, puis au 19 ° siècle on a utilisé en masse les propriétés naturelles de l’argile contenue dans l’ocre, qui, mélangée au latex, donnait une résistance plus importante et une teinte ambrée au caoutchouc fabriqué à partir de l’hévéa.

usine Mathieu, Roussillon

L‘arrivée du chemin de fer à Apt en 1877 va bouleverser cette activité, l’ocre peut être envoyée à Marseille en grande quantité puis exportée dans le monde entier. La production artisanale laisse la place à une industrie prospère, le commerce s’accroit, carrières, sites de lavage, et usines fleurissent dans la région.

En 1899 la France exporte 20 000 tonnes d’ocre du Vaucluse, en 1901 la Société des Ocres de France est créée, elle réunit les exploitants de Bourgogne et du Vaucluse. En 1926 on compte dans la région 17 carrières souterraines et 53 carrières de surface occupant plus de 350 personnes.

La production augmente jusqu’en 1929 avec 40 000 tonnes produites, dont plus de 90% à l’exportation. L’ocre était envoyée en Inde où se trouvaient de grosses exploitations d’hévéa, était mélangée là-bas puis renvoyée en France.
Cette exploitation massive a forgé les paysages d’ocre actuels de la région.

Le déclin et le renouveau

L’arrivée du pétrole a permis de fabriquer du plastique à moindre coût et a ruiné l’économie de l’ocre.
La crise de 1929 n’épargne pas l’industrie ocrière, en 1938 la production a diminué de moitié. La seconde guerre mondiale lui sera fatale ! Les carrières et les usines ferment.

En 1971, la production n’est plus que de 1000 tonnes et la SOF est au bord de la faillite. Elle est rachetée en 1974 par G. Guigou, et aujourd’hui ventes et exportations redémarrent doucement avec de nouveaux débouchés culturels et industriels.

L’ocre est un colorant résistant et inaltérable entrant dans la fabrication des peintures, badigeons et enduits. Après avoir été utilisée comme épaississant dans l’industrie du linoléum, des caoutchoucs et des papiers par sa nature argileuse, aujourd’hui, cosmétiques, pharmacie, beaux-arts, et produits alimentaires continuent à l’employer pour ses propriétés colorantes.

Conservatoire de l'ocre

Un héritage culturel

L’ancienne usine Mathieu à Roussillon grâce à quelques passionnés devient le Conservatoire des ocres et des pigments appliqués. Il propose des formations, des stages et animations autour des techniques de la couleur, une remarquable bibliothèque et une boutique en ligne de pigments.
Je vous conseille vivement d’y faire un tour !

J’espère que cet article vous aura passionné, je vous invite à réagir et laisser vos commentaires

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A bientôt

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Crédits et Ressources :

Livres
Jean-Marie TRIAT : Les Ocres aux éditions du CNRS
Anne Varichon : Couleurs, pigments et teintures dans les mains des peuples aux éditions du Seuil
François Perrego : Dictionnaire des matériaux du peintre aux éditions Belin

Lieux à visiter
Okhra : le Conservatoire des Ocres à Roussillon
Les mines de Bruoux à Gargas.
Le Colorado provençal à Rustrel

Site à consulter sur Le Luberon

http://luberon.fr/

http://luberon.fr/luberon/culture/ocres/